
Clément Guichard
27 juillet 2018,
temps de lecture : 10min
Toronto mise gros sur le trade de Leonard. Mais ce pari offre une nouvelle chance à la génération dorée des Raptors.
D’une histoire d’amour passionnée à une rupture de raison
Nous sommes le 18 juillet 2018. Cela faisait quelques jours que le nom de Toronto circulait au sein des rumeurs de trade pour Kawhi Leonard. Mais personne ne pouvait imaginer que cette rumeur s’avèrerait juste. Ou encore que Demar Derozan serait la pièce maitresse sacrifiée par Toronto. Masai Ujiri, le GM des Raptors, avait clairement signifié à Derozan (d’après Demar) qu’il ne serait pas tradé cet été. Incompréhension ou trahison, tout cela n’est finalement qu’une question de point de vue et n’est pas le fait le plus intéressant dans cette histoire. Mais cela rappelle tout de même que peu importe où on joue, la NBA est le summum du sport business où les sentiments sont rapidement dépassés par des intérêts supérieurs et notamment économiques et de performance.

Depuis son arrivée en Ontario en 2009, Demar Derozan, le gamin de 18 ans à l’époque, originaire de Compton en Californie, avait clamé haut et fort son amour pour les Raptors, la ville de Toronto, et sa communauté. Au fil des années, son investissement dans la communauté était devenu important et il participait à la vie de la ville tel un citoyen modèle. Il s’était promis de finir sa carrière là-bas et d’être le joueur d’une seule franchise, peu importe les résultats sportifs. Il est actuellement rare de trouver un joueur NBA aussi attaché à sa franchise comme Derozan l’a été avec les Raptors. Nombreux sont ceux qui ont fait ce genre de déclarations, avant de retourner leurs vestes quand le pré voisin semblait plus vert. Dernièrement, on peut penser à Paul George qui, dans les bons moments avec les Pacers, jurait que l’Indiana était le meilleur endroit pour lui. Il est facile de parler quand tout va bien. Et dur d’assumer quand les temps sont moins favorables. Derozan semble, en revanche, différent. Son sentiment de trahison à la suite de l’annonce de son trade, puis son refus d’accepter les excuses d’Ujiri en sont la preuve. Il se voyait encore et toujours à Toronto. Même après le licenciement de Dwayne Casey, le coach qui l’a en partie développé. Même après le sweep en demi-finale de conférence des Playoffs cette année face à Lebron, ultime humiliation qui a été la fin d’une longue série de revers et de déceptions face aux Cavs. Et même après son absence du terrain pendant les moments décisifs du match 3 à Cleveland lorsque les Raptors jouaient leur dernière chance.

Pourtant, il a découvert la NBA dans ce qui était à l’époque la galère du grand Nord. Toronto a été une des pires franchises de la ligue entre 2009 et 2013. Il a assisté à la défection de l’icône Chris Bosh, un an après son arrivé. Il a su être patient avec les Raptors, comme eux ont su être patient avec lui. D’un jeune joueur qui n’avait pour lui que sa condition athlétique exceptionnelle, il est devenu un des meilleurs scoreurs de la ligue. Un joueur de un contre un hors pair, un pénétrateur féroce et efficace, et un shooter mi-distance à la panoplie complète (fade-away, poste bas, poste haut, shoot après un dribble, shoot après réception, etc.). Seul son shoot à 3point restera à jamais la grosse tâche de son jeu offensif. Derozan et les Raptors ont grandi main dans la main ensemble et ont su s’élever comme une place forte de la Conférence Est ensemble. Il était devenu l’image, l’identité des Raptors et de leur stabilité ces dernières années.
Alors pourquoi le trader ? Parce qu’en face ils ont eu l’opportunité exceptionnelle de récupérer Kawhi Leonard. Depuis son titre de MVP des finales 2014, le double meilleur défenseur de la ligue était aussi devenu un monstre d’efficacité en attaque. Il frôlait les fameux pourcentages 50/40/90 aux shoots et avait gardé sa combativité de col bleu. La dernière fois que Leonard a été vu sur le terrain et au top de sa forme, au match 1 des finales de conférence 2017 face aux Warriors, il était légitimement un des 5 meilleurs joueurs de la NBA. Il étrillait les Warriors des deux côtés du terrain et survolait ce 1er match face à la Superteam de Curry et Durant. Personne ne sait s’il est encore ce joueur. De nombreux rapports ont fait état d’une accumulation de blessures depuis 2016, qui l’aurait éventuellement mené à son problème de convalescence cette année.
Le Leonard de 2017 est en tout cas beaucoup plus complet que Derozan ne l’a jamais été. Et Demar ne sera probablement jamais aussi complet que l’est Kawhi. En revanche, Derozan possède un talent pur de scoreur que Leonard n’a pas mais que ce dernier a su combler par son travail et son agressivité. Si il fallait faire un choix détaché de toutes considérations financières, de santé, et de confiance, Leonard est le choix évident. Leonard est un joueur unique en NBA par son style et par ce qu’il apporte à son équipe chaque soir. Les Spurs avait en lui le futur de leur franchise. Personne n’imaginait l’été dernier que les événements allaient tourner de cette manière.
Celui qui ose dire savoir ce qu’il s’est passé entre Leonard et les Spurs durant cette saison 2017-2018 est un menteur. Leonard n’aura joué que 9 matches. Et tandis que la saison avançait, la rupture semblait de plus en plus inévitable. Personne ne sait, car Kawhi n’a jamais ouvert la bouche à ce sujet. Et il ne le fera peut-être jamais. Seul les Spurs et l’entourage de Kawhi l’ont fait. Des tensions autour des traitements de ses blessures aurait rompu la relation. Une chose est sûre, les deux parties ont chacun leur part de responsabilité dans. Peu importe, en fait. La rupture est actée. L’histoire fait partie du passé maintenant. Leonard est à Toronto. Reste à savoir pour combien de temps.
Ujiri et les Raptors font un pari sur l’année. Ils pensent pouvoir séduire Kawhi Leonard, le convaincre de ne pas se rendre à Los Angeles l’été prochain comme tout le monde prédit, et le faire resigner. Après tout, la jurisprudence Paul George avec Oklahoma City cette année laisse imaginer que tout est possible. Peut-être que Kawhi se trouvera en confiance et à l’aise au sein de cette franchise. A l’été 2019, Les Raptors auront la possibilité, comme n’importe quelles franchises, de lui proposer un contrat de 4 ans maximum. Mais eux, pourront proposer plus d’argent.

Et si le coup de poker Kawhi Leonard ne fonctionne pas, qu’il décide effectivement de quitter l’Ontario à l’été 2019, les Raptors auront une énorme marge de manœuvre pour reconstruire une équipe sur de nouvelles bases. Et même repartir de zéro si ils le souhaitent. Seul l’énorme contrat de Derozan était un frein à une éventuelle reconstruction à l’été 2020. Pour l’instant, uniquement Norman Powell possède un contrat qui courre au-delà de cette date et qui arrivera à échéance en 2021. Ce qui ressemble à une prise de risque au départ, n’en est finalement pas une. Ujiri a su gérer cette situation de main de maître. Il offre une nouvelle perspective à court terme pour les Raptors qui avait besoin d’un changement et d’un rafraichissement pour se donner une nouvelle chance d’atteindre les finales NBA avec cet effectif et cette génération. En parallèle, il se libère les mains pour construire l’effectif de la décennie suivante sans aucune contrainte salariale. Cela ressemble finalement plus à un coup de génie qu’à un coup de poker. Le management des Raptors peut entrevoir le futur avec sérénité. Avec, ou sans Kawhi Leonard.

Relancer un élan encourageant mais brisé par les Playoffs
De toute manière, on peut aisément supposer qu’en interne il a été considéré que l’élan des Raptors était brisé par ce cinquième échec d’affilé en Playoffs, le troisième de suite face aux Cavaliers de Lebron James, et le second d’affilé soldé par un vilain sweep. Il est dur de se remettre d’une telle série. Même pour une franchise aussi stable et bien dirigée comme celle des Raptors. Comment ne pas se demander les raisons de tels échecs ? Comment ne pas se dire qu’au fond il y a quelque chose qui ne fonctionne pas ? Qu’il manque quelque chose à cette franchise pour passer au niveau supérieur ?

Malgré le meilleur bilan de l’histoire des Raptors sur une saison, avec 59 victoires, et la position du numéro un en Conférence Est, Dwayne Casey, élu coach de l’année 2017-2018, a été viré sans concession à la suite de la déroute face aux Cavs en demi-finale de conférence. Il a été remplacé en interne par son assistant Nick Nurse, le nouveau maître à penser de l’attaque des Raptors. C’est lui qui a transformé l’attaque des Raptors la saison dernière après qu’une énorme remise en question ait été faite (déjà) à la suite de la défaite face aux Cavs (encore) en finale de Conférence 2017. Le coach principal Casey, les deux stars Lowry et Derozan avaient accepté de suivre le mouvement de ce changement imposé par Ujiri. Les Raptors se devait de devenir une équipe offensive différente, qui ne reposait plus uniquement sur un jeu basé sur le un contre un et le talent individuel de Lowry et Derozan. Casey devait s’occuper de la défense, et Nurse de l’attaque. Cela a résulté en une saison historique pour les raptors qui ont donné des espoirs si forts que la déception n’en fut que plus grande. La marque s’en est retrouvé plus réparti et bien mieux équilibré. Lowry a eu la liberté de redevenir un gestionnaire de talent. Ses stats suggèrent pourtant une moins bonne saison que l’année précédente. Mais tout le long de la saison il a rythmé une attaque qui se basait avant tout sur un jeu de passe rapide pour déséquilibrer la défense en acceptant de mettre son jeu personnel en retrait pour privilégier le collectif. Seul ses pourcentages aux shoots doivent revenir à ses standards précédents. Sa contribution au jeu a été inquantifiable mais essentielle. Derozan avait accepté de s’intégrer dans ce style de jeu et de limiter son jeu en poste bas qui avait tendance à freiner le jeu collectif et le mouvement sans ballon de ses coéquipiers. Il a aussi, avec une réussite modérée, accepté de s’écarter plus du panier pour retrouver un jeu plus fréquent derrière la ligne à 3 points, ce qui devait automatiquement offrir plus d’espaces à ses coéquipiers pour réaliser des coupes au panier et des pénétrations.
Tous ces efforts ont permis une plus large rotation de joueurs et notamment la prise de responsabilité des autres autour des deux stars : les jeunes joueurs et les roles players.
- Les jeunes :
– Vanvleet et Wright à l’arrière, sont deux joueurs dynamiques, excellents gestionnaires, bons scoreurs et ne sont pas avares d’efforts défensifs. Leurs expériences en tant que leader dans deux excellents programmes NCAA ont parfait leur formation. Ils sont arrivés déjà prêts en NBA et n’ont fait que le montrer. Vanvleet, pourtant non drafté à sa sortie de West Virginia, renforce toutes ces qualités par un excellent shoot à 3 points qui n’aspire qu’à s’améliorer.
– Anunoby à l’aile a le potentiel pour devenir un joueur de complément idéal : le défenseur d’exception et bon shooter à 3 points. Sa défense face à Lebron James en demi-finale de conférence Est cette année en est la preuve. Il s’est fait marcher dessus, certes. Mais n’importe qui aurait été terrassé par ce Lebron James simplement injouable. Les postures d’Anunoby, ses attitudes et ses déplacement latéraux montraient une réelle qualité défensive. Il a tout fait pour rendre les shoots de Lebron durs voire impossibles. Mais cela n’a pas été suffisant face au King qui a réalisé une de ses prestations les plus époustouflantes de sa carrière sur cette série.
– Siakam est surement celui des quatre qui a le plus de travail pour parfaire son jeu. C’est un joueur physique, dur au mal, mais qui doit encore affiner son jeu et surtout progresser au rebond. Son jeu offensif présente des motifs d’espoirs sincères. Ses pourcentages aux shoots ont été meilleurs que lors de sa saison rookie tout en scorant plus. Il doit encore progresser sous le panier et développer ses moves dos au panier mais l’optimisme est là. Avec tous ces points à améliorer, il est déjà devenu un joueur important de la rotation.

Wright a 26 ans, Vanvleet et Siakam 24, et Anunoby seulement 21. En conservant un temps de jeu conséquent la saison prochaine, ils ont de grandes chances de progresser et de gagner une expérience qui sera cruciale au moment des Playoffs.
- Les roles players
– Ibaka reste un bon joueur de complément à l’intérieur même si le temps suggère qu’il ne sera jamais aussi fort qu’il l’a été avec le Thunder au début de la décennie, et notamment en 2012. Son jeu offensif, qui a toujours été limité proche du panier, s’est détérioré avec son appétence grandissante pour le shoot à 3pts. Jusqu’en 2014, il s’est concentré à shooter à 2pts avec une excellente réussite. De 2011 à 2014, il shootait à près de 50% pour tous ses tirs mi-distance de 3mètres et la ligne des 3 points. Il était devenu une machine parfaite pour le pick and roll avec Westbrook ou Durant.
Son efficacité au shoot empêchait la défense adverse de doubler le porteur du ballon. Une fois qu’il a décidé de jouer le 3pts, ses pourcentages ont baissé et son intérêt numéro un en pick and roll s’est effrité. Avec l’arrivée de Leonard et l’émergence des jeunes joueurs autour de lui, il lui faudrait revenir à ses premiers amours, le shoot mi-distance. Et il n’est plus le défenseur d’arceau qu’il a été. Il est bon, mais a, par le passé, été le meilleur. Il fut une menace constante sur les joueurs pénétrant dans sa raquette et sa seule présence forçait les adversaires à modifier la trajectoire de leurs tirs. Il ne sera probablement plus jamais ce qu’il a été mais reste une valeur de référence, et un atour rare et précieux dans la raquette.
– Valanciunas est un intérieur offensif intéressant, avec quelques bons moves en poste bas et un shoot mi-distance respectable. Il reste un défenseur combatif mais limité. On sait très bien qu’il peut offrir un avantage énorme dans certains match-up, mais se retrouve vite sur le banc quand les matches de Playoffs deviennent importants. Ce n’est pas un hasard. Il ne peut switcher sur un pick and roll car il est incapable de tenir 3 secondes face à un extérieur adverse. Cependant, une rotation Valanciunas/Ibaka dans la raquette est un poids pour les équipes adverses. Rares sont les équipes à l’est qui possèdent autant de puissance et de force dans la raquette.
– Miles, avec sa précision à 3point a su trouver une place confortable dans la rotation. Il shoote plus de 80% de ses tirs derrière l’arc, et s’est spécialisé dans le coin avec un pourcentage proche des 50% tout en gardant une très bonne réussite aux autres positions. Il se révèle précieux dans les moments où la raquette est surchargée et qu’il faut écarter le jeu ou encore lorsque les line-up de rotation ont du mal à scorer.

Bref, l’effectif est fourni et le trade ne fait que le renforcer. Poetl, pivot au style années 90 n’est finalement pas une grande perte. Même si ses qualités au rebond vont manquer, avec Valanciunas, Ibaka et Siakam déjà dans la raquette et une NBA qui tend de plus en plus vers le small ball, il était presque de trop. Il fallait faire un choix et il a été fait. Danny Green, lui, arrivé dans les valises de Kawhi Leonard, est l’archétype parfait de l’extérieur moderne : bon shooter à 3point et excellent défenseur. En récupérant Leonard et Green, Toronto obtient la doublette qui avait tenu la défense extérieure des Spurs lors des deux trips en finales en 2013 et 2014. Deux défenseurs d’un niveau rare qui ont, depuis leur association en 2011, crée et travaillé des automatismes uniques. Peu de joueurs jouent pendant 6, 7 ans non-stop l’un à côté de l’autre. Il se peut qu’avec ce trade, Toronto se soit offert la meilleure doublette défensive extérieure de la NBA qui possèdent en plus une énorme expérience des Playoffs et des moments décisifs.
Un rêve réalisable
Avec un cinq de départ, Lowry – Green – Leonard – Anunoby – Ibaka et une rotation composée de Vanvleet, Wright, Miles, Siakam et Valanciunas, Toronto possède sans conteste le meilleur effectif de la conférence Est avec Boston. Il est profond, talentueux et surtout fort en défense, un paramètre indispensable lorsque l’on avance dans les Playoffs (et que l’on n’a pas Lebron James). L’année dernière, les Raptors ne pouvaient pas tenir la comparaison avec la défense des Celtics. Cette année en revanche, si le collectif prend bien et que tout le monde accepte sa partie du sale boulot, ils peuvent même devenir meilleurs. Ils en ont les capacités. En attaque, Nurse va continuer de perpétuer ses théories et jouira d’un effectif plus expérimenté et plus adapté à son style. Si aucune blessure ne vient freiner l’impulsion, la finale de conférence Est qu’on peut espérer face à Boston, devraient être incroyable d’intensité et terriblement excitante. Avec un effectif qui a considérablement gagné en expérience des grands moments en Playoffs grâce à Leonard et Green, on peut imaginer que les Raptors peuvent enfin atteindre les finales NBA cette saison. Et si Kawhi reproduit ses performances de 2017 face aux Warriors, Toronto pourrait toucher le graal tant espéré du bout des doigts…ou carrément le rapporter en Ontario.
- Sources stats : https://www.basketball-reference.com/ – https://stats.nba.com/
- Sources vidéo : https://www.youtube.com/