
Clément Guichard
16 juillet 2019,
temps de lecture : 8min
Chris Paul n’est déjà plus un Rocket. Envoyé au Thunder en échange de Russell Westbrook, il achève son chapitre avec Houston comme il l’a déjà fait avec ses anciennes franchises : fâché. Cette fois-ci, c’est la relation déplorable entretenue avec James Harden qui aurait entrainé cette issue inéluctable. Mais pas seulement.
De l’étincelle à la déflagration
Éliminé pour la seconde fois d’affilé par les Warriors, les Rockets ont implosé à l’issue de ce nouveau revers. L’espoir d’une finale et d’un titre, dernier lien qui tissait encore un sens commun entre James Harden et Chris Paul, s’est brisé définitivement le soir de ce match 6 face à Golden State, et cette dernière défaite à domicile. A la sortie de cette rencontre, synonyme d’élimination, les deux stars ont eu un « long échange verbal tendu » qui aurait mis un point final à deux ans de cohabitation complexe. Brian Windhorst d’ESPN a révélé que cet échange a découlé d’une altercation qui s’est déroulé plus tôt sur le terrain. Paul aboyait sur Harden pour une raison tactique, et ce dernier se retournant vers lui, lui aurait répondu : « Avec toi il y a toujours un p***** de quelque chose qui va pas ». Même pas deux heures plus tard, en conférence de presse après l’élimination, Harden affirmait savoir exactement ce qu’il fallait changer pour passer un cap. Si à l’époque, ce discours semblait floue, désormais, on ne peut s’empêcher de penser qu’il sous entendait que c’était son compère de la mène portant le numéro 3 qu’il fallait changer.
Quelques jours après, plusieurs rumeurs ont pour la première fois émis l’hypothèse que la relation entre Harden et Paul était irrécupérable. Début juin, Paul aurait demandé au management des Rockets d’être tradé, comme le rapporte Ken Berger de Bleacher Report. James Harden aurait surenchéri par la suite, en faisant clairement comprendre à Daryl Morey, le GM des Rockets, que cela serait Paul ou lui. A cet instant, la relation semble effectivement plus qu’irréparable pour Morey, et le management des Rockets a du se résoudre à accepter qu’il n’y avait plus d’autres issues que de séparer les deux stars . Déjà un peu plus tôt dans la saison, les deux protagonistes ne se seraient pas adressés la parole durant deux mois, ce qui aurait crée un énorme malaise latent dans le vestiaire, et au sein de l’organisation tout entière. Et depuis la saison dernière, ils se malmenaient mutuellement à coup d’actes et de paroles mesquins et méchants lors des matches ou des entrainements. D’un simple problème d’entente et de philosophie de jeu, la situation a dégénéré en haine viscérale. « Ils n’ont aucun respect l’un pour l’autre », aurait affirmé à Yahoo Sports, une source proche des concernés.
Sur le terrain, Paul aurait souhaité un style de jeu plus varié, équilibré, et moins autocentré sur « The Beard », alors qu’Harden ne veut en aucun cas voir son rôle réduit. Il a montré, depuis le début de saison, qu’il s’épanouit toujours plus individuellement dans un système qui lui est entièrement dédié. Dans ce combat idéologique, Mike d’Antoni s’est rangé du côté de Harden. Il laisse d’ailleurs à ce dernier une énorme marge de manœuvre sur le terrain. Cela aurait surpris et frustré certains de ses coéquipiers qui déploraient ce manque de contrôle et cet excès de liberté. Chris Paul était en tête de ce cortège. A l’occasion de temps mort, il aurait plusieurs fois tenté de convaincre d’Antoni de laisser Harden sur le banc, en prétextant que l’attaque fonctionnait mieux sans lui.
En un certain sens, le point de de vue de Paul se défend. Lors de cette saison 2018-2019, les Rockets sont quasi devenus une parodie du cliché qu’il étaient déjà la saison passée. Le jeu de mouvement léché de Mike d’Antoni, encore légèrement ressentie en 2016-2017, s’est transformé en un jeu systématique fait d’isolations en un contre un, et de tirs à trois points. Pour preuve, en 2018-2019, Harden a poussé son taux d’utilisation du ballon à un paroxysme : 40%. Cela signifie que 40% des possessions des Rockets ont fini par Harden. Dans un soucis de comparaison, le second de la ligue était Embiid, avec un taux d’utilisation de « seulement » 33%. Si Harden crée toujours beaucoup pour ses coéquipiers, les séries collectives de trois, quatre passes se sont faites plus rares cette saison. La stratégie qui consiste à faire un écran pour forcer un switch puis une iso, qui finit sur un tir (ou une passe et un tir) résume bien le playbook offensif de Rockets 2018-2019. Et pourtant, lors de ces Playoffs, les lineups des Rockets comprenant un Chris Paul seul leader sur le terrain, ont eu un succès qui peut également raconter une histoire différente : Les Rockets peuvent aussi gagner autrement. En mettant en place un jeu plus collectif, avec un balle plus souvent en mouvement, Paul a montré qu’il pouvait encore, sur de courtes périodes, diriger et faire fonctionner une équipe de Playoffs. Il se trouvait plus à l’aise en attaquant les picks n roll qu’en attendant le switch et le un contre un comme il devait le faire au côté de Harden. C’est en attaquant ces picks qu’il pouvait créer du mouvement et des décalages dans la défense. La saison passée, le type de jeu souhaité par Paul et celui souhaité par Harden s’équilibrait mieux. Houston avait ainsi obtenu le meilleur bilan de la ligue, et de son histoire par la même occasion. Le duo Harden-Paul montrait alors tous son talent et sa complémentarité. Lorsque Paul avait la balle, Harden le laissait prendre les décisions, et allait se cacher dans un coin du terrain, entrainant son adversaire direct avec lui. Paul pouvait ainsi jouer entièrement son jeu en 4 contre 4.

Si son avis sur le style de Houston cette saison semble louable, le problème majeur de Paul a toujours été son ego et sa manière de communiquer. Persuadé qu’il est un des grand cerveaux de l’histoire du basket, il s’est donné la mission d’inspirer et d’éduquer le staff et ses coéquipiers partout où il est passé, y compris à Houston. Et quand Chris instruit, Chris engueule. Ces messages ont ainsi beaucoup de mal à passer. Pour ne rien arranger, il est très exigeant envers lui, et tout autant envers ses coéquipiers. Ce comportement systématique en match et à l’entrainement n’a pas mis longtemps à excéder Harden. Mais ce dernier est également loin de tous reproches. Convaincu que la manière dont il joue est la plus efficace, vaniteux et fier, il n’a jamais accepté l’attitude de Paul, ni son statut.
CP3 = Équation insolvable
Le départ de Paul est essentiellement dû aux frictions insupportables avec James Harden. Mais sans ce problème relationnel, les Rockets auraient probablement suivi la même ligne de conduite cet été. Après deux échecs consécutifs face aux Warriors, dont le dernier contre une équipe de Golden State privé de Kevin Durant lors du match 6, il est légitime de se poser des questions sur le potentiel de l’effectif actuel. Est-il assez bon pour aller chercher ce titre tant convoité ? D’autant que le cas individuel Chris Paul est un sérieux problème.
Premier élément de l’équation, Chris Paul est à présent un vieux joueur. Il a 34 ans. Ses meilleures années sont derrière lui. Si certains parviennent à conserver un haut niveau de jeu au delà de la 35ème année, souvent les signes manifestes de régression physiques commencent à être facilement observables. Pour un meneur, cette période est encore plus compliquée que pour les autres postes. En général, les pertes de qualités athlétiques et de vitesse se font de manière brutale en un ou deux ans. Les meneurs, qui ne peuvent pas compenser avec un physique hors norme, voit leur capacité de pénétration, et donc de création de jeu, s’appauvrir grandement. Il était criant cette saison que Paul n’avait déjà plus le même dynamisme que lors de sa première saison avec Houston. Lors des précédents Playoffs, période la plus significative pour estimer ces évolutions, il arrivait encore à créer la différence en un contre un face à un plus grand que lui. Cette saison, il s’est retrouvé très handicapé lorsqu’il était en isolation face à un arrière ou un ailier bien plus grand. Ne pouvant plus le dépasser par sa vitesse, et handicapé par la différence d’envergure, il était réduit à devoir lâcher le ballon, ou à tenter un tir très compliqué à mi-distance ou à trois points. Ses stats s’en sont d’ailleurs ressentis. Par rapport à sa première saison avec les Rockets, Paul a vu ses moyennes de points et rebonds baissés, ainsi qu’une chute de ses pourcentages aux tirs de tous les endroits du terrain (2pts, 3pts et Lancers Francs). Il a enregistré en 2018-2019, sa plus mauvaise réussite derrière l’arc depuis la saison 2012-2013, et sa seconde saison chez les Clippers. Seul le Chris Paul rookie et sophomore, a enregistré de pires pourcentages à 3 points que ces deux-là.

Le second élément est sa fragilité physique. Il n’a jamais joué plus de 58 matches par saison lors de son passage à Houston. D’ailleurs, sa blessure contractée au match 5 de la finale de conférence ouest 2018 face aux Warriors est peut être la raison majeure du retour des Warriors, et a joué dans la frustration d’Harden à son encontre. Historiquement, Paul a toujours eu un fort temps de jeu (supérieur à 30min par match). Ces efforts et cette fatigue accumulés jouent sur la résistance du corps. Depuis son arrivée en NBA, il a subi de nombreuses blessures à répétition qui l’ont abimé. En 14 ans de carrière, il a vécu 7 saisons au cours desquelles il a manqué 18 matches ou plus. Et seulement 5 saisons où il a joué plus de 78 matches. Un joueur de 34 ans particulièrement fragile, et sensible aux coups et à la fatigue n’est jamais très encourageant pour la suite de sa carrière. Il risque de manquer de fiabilité sur le temps d’une saison, et plus particulièrement sur le temps d’un Playoffs. C’est dommageable.

Enfin, le troisième élément est un phénomène général observé depuis l’apparition du Max Contrat et du Supermax Contrat, et qui peut s’appliquer à Chris Paul. Ce sont de mauvais investissements. Initialement prévus pour offrir un avantage significatif à la franchise d’origine d’un agent libre par rapport aux autres aspirants, ils ont crée l’effet inverse. Au lieu d’être une option avantageuse, le Max Contrat est devenu une contrainte. Une équipe possédant une de ses stars en fin de contrat, est en fin de compte obligé de lui proposer ce Max Contrat, bien plus cher que les autres, pour le convaincre de rester, sous peine que le joueur ne se sente pas valoriser à sa juste qualité. Le Max Contrat est un produit entièrement crée pour les Stars et ces derniers l’ont bien compris. Certains, comme Chris Paul, pensent ainsi mériter ce qui a été façonné spécialement pour eux. Face à cette situation, Houston n’a pas eu d’autres choix que de lui proposer ce contrat plutôt que de prendre le risque de le perdre pour rien, un an après avoir donné beaucoup pour l’obtenir. Il a donc signé son Max Contrat à l’été 2018, suite à la saison historique des Rockets. Un max contrat proche des 160 millions de dollars sur 4 ans. C’est une des raisons majeurs de son départ. Rétrospectivement, on réalise que la majorité des équipes qui ont fait signer un de leurs joueurs en max contrat, le regrette presque immédiatement. Chris Paul est un exemple parfait. Mais les contrats de Russell Westbrook et John Wall sont également des exemples représentatifs du problème qu’apporte les Max Contrat. Pire, en plus d’être devenu une contrainte pour les franchises, il n »est pas une carotte suffisante. Nombre de joueurs comme Kawhi Leonard ont refusé un Max pour aller jouer dans la franchise qu’il souhaitait. Les salaires étant démesurés en NBA, ces contrats spéciaux n’ont pas d’effets incitatifs suffisants pour convaincre les joueurs. Entre 120 et 200 millions de dollars…

Chris Paul est un joueur très bien payé. Il était le second joueur le mieux payé de la ligue en 2018-2019 derrière Steph Curry et le sera encore la saison prochaine. Au vu de son âge, sa situation physique et ses dernières performances, cela peut paraitre trop. Toujours très bon dans son rôle de meneur, il est désormais loin des tous meilleurs joueurs de la ligue et ne peut prétendre à être le leader unique de sa franchise. Sur la pente descendante, Paul va continuer à gagner toujours plus d’argent, jusqu’à toucher près de 45 millions lors de la saison 2021-2022 alors qu’il aura 37 ans. en 2017-2018, le cap était fixé aux alentour des 100 millions pour l’ensemble des salaires des joueurs d’une équipe. à 37 ans, Paul touchera ainsi près de 40% du salary cap d’une franchise…et les Rockets n’étaient pas prêts à accepter ça. Le Supermax de Westbrook va couter aussi cher et s’achève un an plus tard, mais il a 4 ans de moins que Paul.
Épilogue
Échecs, déceptions et frustrations. Ce sont les trois mots qui peuvent résumer ces deux dernières années des Rockets. Pourtant, Paul et Harden ont réussi à s’élever respectivement à un niveau qu’ils n’avaient encore jamais atteints. Mais aucun des deux n’a réussi à se faire violence, mettre de côtés les frustrations humaines et se dévouer entièrement à la conquête du titre. Pour certains, dont l’égo est trop fort, ça a l’air plus compliqué que pour d’autres…
Mais si Paul avait vraiment été dans la recherche absolue de titre, il n’aurait probablement pas signé ce Max Contrat. Il aurait réduit son salaire, comme d’autres l’ont fait par le passé, pour permettre à Houston de se renforcer. Il aurait ainsi évité d’être dans la position d’un persona non grata un an seulement après la signature de ce même contrat. Tout est question de valeur à un moment donné…et Paul, avec sa situation perso et ses frasques avec Harden, ne vaut plus $160 millions.
A moins d’un buy-out, peu probable à cause du montant élevé de son salaire, Paul va trainer son énorme contrat jusqu’à la fin de sa carrière. Cela risque de l’empêcher de retrouver une très forte équipe et tenter une nouvelle fois d’atteindre ces finales NBA qui s’interdisent à lui. A lui de faire un point sur ses priorités.
Sources stats : https://www.basketball-reference.com/